Les métis belgo-congolais bousculent les vieux clichés coloniaux


Doctorante au Centre d’Etudes Ethnicité et Migrations (CEDEM), Lissia Jeurissen nous brosse un tableau historique assez complet des métis nés des relations belgo-congolaise. Et démontre qu’une identité d’« entre-deux » reste à inventer, au risque de subir une forte exclusion sociale. Extraits.

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Si le mot métis désigne de nos jours, de façon plus ou moins neutre, une personne qui a des origines culturelles et/ou nationales multiples, il renvoyait, au XVIe siècle, à la descendance des unions peu égalitaires entre femme amérindienne et conquistador espagnol. Dans ce même contexte d’exploration et de conquête ibériques du continent américain est apparu le terme mulato, le mulâtre, littéralement « un semblant de mulet », une version humaine du bâtard du cheval (sous-entendu l’Européen blanc) et de l’ânesse (renvoyant à l’esclave noire)… On y devine tout le mépris que les théories raciales anglo-saxonnes allaient accorder aux couples dits mixtes et à leur descendance. Le métissage, loin de constituer une richesse, représentait plutôt une mise en danger de la soi-disant pureté de la « race blanche », cette dernière étant placée au sommet de l’échelle de l’évolution des populations mondiales classifiées en races au pluriel.

Trois siècles plus tard, dans l’ancien Congo belge (1908-1960), l’influence du creuset américain et la stigmatisation raciale sont au coeur de l’administration coloniale belge : les autochtones noirs, perçus comme arriérés et barbares, doivent être guidés de façon unilatérale et autoritaire vers le modèle sociétal de la « race supérieure », incarné par la civilisation occidentale. Les relations entre Belges et Congolais sont alors logiquement dominées par cette pesanteur idéologique et le refus de toute logique interculturelle. Les couples illicites rassemblant coloniaux blancs (venus en célibataire mais dont la majorité sont mariés ou fiancés en Europe) et colonisées noires sont en général voués à la rupture et à l’anathème. On tolère cependant le portrait récurrent de la maîtresse autochtone chargée de la couche du bwana esseulé durant son contrat colonial, domesticité sexuelle validant des enjeux de pouvoir et de genre (droit de cuissage ; féminité noire soumise à la virilité blanche [3]. Tandis que les bras de l’Africain restent interdits aux femmes européennes (tabou du viol symbolique de la métropole), numériquement peu présentes au Congo jusqu’à la Seconde Guerre mondiale en raison du manque d’infrastructures.

Les nombreux enfants nés au Congo des relations sexuelles et affectives coloniales entre Belges et Congolaises, les mulâtres, sont largement abandonnés par leurs pères rentrés en métropole et soulèvent la méfiance du pouvoir politique. Fréquemment séparés de leur famille maternelle et encadrés par les missionnaires, ces faux orphelins de la colonie finiront par constituer une classe à part, au niveau formel en tout cas, un entre-deux racial déchiré par les paradoxes du plus ou moins noir ou du plus ou moins blanc dans une société fondée sur la barrière de couleur. Les mémoires familiales de cette « génération volée » restent donc profondément marquées par la mulâtritude, en somme la construction brutale du regard colonial sur l’altérité et le métissage [1].

Loin de toute projection idéalisée, les circonstances de l’intimité belgo-congolaise, ainsi que les parcours des métis de chair et de sang, nous dévoilent le poids persistant des préjugés raciaux sur ces minorités visibles.

En métropole, la présence (très limitée) de colonisés, marins déserteurs, boys exportés ou soldats démobilisés des deux guerres mondiales, a écrit le scénario inverse. Malgré des mariages légaux dès l’Entre-deux-guerres en Belgique, les couples assez marginalisés unissant résidents congolais et femmes belges sont décriés par l’opinion, soi-disant frappés par la fatalité aliénante d’une inadéquation culturelle, avec le cliché persistant de relations conjugales violentes et instables liant des « maquereaux en devenir » à des « filles de rien ».

Les progénitures de ces unions, intégrées dans la société belge, subissent elles aussi la loupe d’une stéréotypie sans nuance qui les catégorise « Noirs » en raison de leur filiation honteuse.

Dès 1960, le remplacement des coloniaux éconduits par des générations de coopérants au Congo et l’arrivée massive d’étudiants ou stagiaires politiques congolais en Belgique semblent a priori instaurer un décor affectif plus serein entre Belges et Congolais. Le spectre colonial persiste cependant de façon maladroite dans les imaginaires identitaires.

Les marqueurs « Blanc » et « Noir » conservent assurément toute leur charge politique, historique et émotionnelle, même s’ils se sont redéfinis au sein d’une socio-économie opposant, de façon souvent pernicieuse, le « Nord » au « Sud », les États industrialisés aux pays dits « en voie de développement ». Les premiers étudiants, hauts-fonctionnaires ou généraux congolais affichant fièrement leurs épouses européennes valident inconsciemment une symbolique de renversement des anciens rapports de force coloniaux (et non leur suppression).

En Belgique, les Congolais belges ou « Belges d’origine congolaise », qu’ils soient noirs ou métissés, sont en réalité des métis culturels aux parcours multiples qui subissent régulièrement la discrimination épidermique. L’opinion générale continue implicitement à stigmatiser les individus de l’entre-deux à travers leur dualité ou leur position intermédiaire, à dévaloriser les couples euro-africains ou afro-européens en décodant les difficultés liées à la gestion de la mixité à travers une maladroite loupe ethnique …

Une enquête récente du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme révèle que si la plupart des Belges interrogés considèrent la présence de diverses cultures comme une richesse pour notre société, ils sont pourtant 29% à estimer gênant ou très gênant que leur enfant épouse une personne issue d’une minorité [2]. Certes le métissage culturel reste un concept à la mode et le Président Barack Obama symbolise en un sens la fin des barrières post-coloniales… Mais, loin de toute projection idéalisée, les circonstances de l’intimité belgo-congolaise, ainsi que les parcours des métis de chair et de sang, nous dévoilent le poids persistant des préjugés raciaux sur ces minorités visibles alors qu’il est prouvé scientifiquement qu’il n’existe pas de races humaines au pluriel.

Malgré une actualité belge marquée par les conflits communautaires linguistiques, notre identité nationale sera-t-elle suffisamment flexible et sereine pour passer à travers les vieux démons coloniaux sans pour autant renier notre passé en Afrique centrale ? Au fil des générations, la belgitude aura-t-elle la capacité d’intégrer les dimensions multiples, complexes et mouvantes de l’individu, au-delà de ce qui se donne à voir ?

Lissia Jeurissen

Historienne et Aspirante FNRS-ULg, collaboratrice au Centre d’Etudes Ethnicité et Migrations (CEDEM) Auteure de « Quand le métis s’appelait mulâtre. »

[1] Une exposition festive réunissant de nombreux témoignages de métis nés dans les anciennes colonies belges (RDCongo, Rwanda et Burundi) a été organisée à Gand en juillet 2010.

[2] Enquête réalisée en novembre 2009.

3 réflexions au sujet de « Les métis belgo-congolais bousculent les vieux clichés coloniaux »

  1. Je suis à la recherche des coordonnées de Lissia Jeurissen que je n’ai pu rencontrer lors de son dernier séjour à Kinshasa. Pouvez vous m’aider à les avoir? Merci

    • Bonjour Leon,

      Je suis désolé mais je n’ai pas de moyens de contacts actuellement. Ce qui ne m’empêche pas d’essayer de les avoir. Je vais tenter de me débrouiller pour vous les trouver.

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